A PROPOS

Que dire ?

Que résumer ? Par où commencer ? Je crains le mauvais marketing. Je redoute la dérive narcissique. J’aimerais échapper à la vanité d’un mauvais story telling. Sans doute sais-je écrire. Mais je suis certain de ne pas savoir écrire au sujet de ce que j’ai écrit. La musique dit ce qu’il y a à dire. Et, assurément, elle se passe volontiers du commentaire superflu et réducteur de l’artisan qui l’a faite naître. Les années passant, je travaille à moins de mots, moins de logorrhées, moins de verbiages, plus de concision, plus d’écoute. Plus de silences… Autant que je m’en souvienne, l’écriture a germé au sortir d’une improbable rêverie de jeunesse. En Lorraine, quelques grands fantômes de la grande Histoire rôdaient déjà par-ci, par-là : Josquin, Bach, Schubert, Ravel. Et puis, sont arrivés Schoenberg, Stravinsky, Britten, Messiaen, Penderecki et tant d’autres…

A cette époque, par delà les prédispositions mystérieuses du coeur, les contours du chemin restaient évidemment à définir. Je n’imaginais pas où le désir d’écriture allait m’enraciner et à quel point il s’agissait de savoir qui j’étais vraiment. Conservatoire. Université. Mises en mouvements standards. A dire vrai, je ne vivais pas bien le théâtre fatiguant des égos, et puis l’inévitable surplomb des jougs institutionnels. L’institution humaine ambivalente, qui promet de former l’être à venir en vue de sa liberté autant qu’elle s’emploie à l’enfermer et le dévorer à son profit. Soljénitsyne – qui savait de quoi il parlait – écrivait : “La liberté se bâtit sur ce que les autres ignorent de notre existence”. Diagnostic fondamental. Médication radicale. A l’horizon du nouveau siècle, mieux valait pour moi fuir l’esprit de Caïn et tant pis – tant mieux – s’il s’agissait de devenir un Abel… Et puis, on est libre lorsque personne ne nous attend, lorsqu’on évolue loin des redevabilités systémiques et de l’esprit souvent tordu des réseaux. “Votre problème à vous, c’est que vous n’êtes personne” conclut un jour, à raison, un directeur de programmation. Soit. Libre à moi de faire de cette réalité une force au service d’une démarche authentique et d’un artisanat de qualité.

“Si donc vous êtes ressuscités avec Christ, cherchez les choses d’en haut, où Christ est assis à la droite de Dieu.” Colossiens 3, v.2

De mes années d’études, je suis sorti sans prix, ni distinction, ni début de réseau, ni véritable appétit de carrière. Parallèlement, j’ai été admis à l’agrégation de musique. A l’évidence, les “choses d’en haut” étaient encore et toujours devant moi et il y avait matière à grandir à leur contact.

Devenu professeur pour l’Education Nationale dans un lycée de Seine-Saint-Denis, je n’ai pas déserté l’atelier d’écriture, bien au contraire. Au gré des circonstances, des ouvrages de toute nature ont vu le jour. Des partitions à l’ancienne, parfois légères et parfois plus profondes, souvent contrapuntiques, souvent dodécaphoniques. J’ai surtout travaillé à connaître et entretenir ma terre intérieure, accompagner avec patience la germination et la croissance des semences. Et aussi confidentielle qu’ait été ma trajectoire musicale, je crois avoir progressé à la faveur du temps long. Expérimentant de mieux en mieux le point d’équilibre saisissant où le monde émotionnel, le monde intellectuel et le monde spirituel s’harmonisent – se (ré)concilient – dans l’oreille et sous la plume.

Certes, j’ai choisi de vieillir sans devenir l’homme des critères de mon temps, mais je me suis efforcé depuis trente ans de tirer profit de cette lacune parmi d’autres. Et si, pour de mauvaises raisons, j’ai souvent été tenté de tout abandonner en rase campagne, j’ai heureusement eu la chance de croiser de belles personnes sur le parcours. Autant d’occasions, Dieu voulant, de faire vivre quelques-uns de mes ouvrages et d’avancer encore un peu en vue des choses d’en haut.